L’Ademe vient de publier sa nouvelle méthodologie pour évaluer les impacts énergétiques et climatiques des agrocarburants produits en France. Interview de Chantal Jouanno, la présidente de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
| Caroline Bonnin 24 ans, étudiante en journalisme |
Pourquoi avez-vous décidé de réaliser une nouvelle méthodologie ?
Chantal Jouanno - L’étude qu’avait réalisé l’ADEME sur les biocarburants en 2002, s’était avérée positive en matière de bilan énergétique et environnemental. Mais il y a eu des divergences entre les différentes méthodes. De plus, depuis 2002, le contexte a profondément changé. A l’époque, la grande majorité des pays ne s’était pas lancés dans les biocarburants. En France, nous étions un peu les pionniers sur le développement de cette source d’énergie, mais aussi sur la méthode qu’il fallait utiliser pour réaliser une étude complète, c’est-à-dire à partir du moment où l’on plante la graine de soja ou de maïs, jusqu’au moment où l’on met le biocarburant dans le véhicule.
Alors dans un contexte où les biocarburants se sont développés en Europe, ce type de méthode n’est aujourd’hui plus satisfaisant. Pour relancer une étude, il fallait tout d’abord se mettre d’accord avec tous les experts et les professionnels. C’est pourquoi l’ADEME a réalisé cette étude avec l’Institut Français du Pétrole (IFP), le ministère du développement durable, le ministère de l’agriculture et l’Office national interprofessionnel des grandes cultures (ONIGC).
Quels sont les changements de cette nouvelle méthode ?
Chantal Jouanno - Le premier point concerne la répartition des émissions de Gaz à effet de serre entre les biocarburants et les coproduits, comme les tourteaux, destinés à l’alimentation des animaux. On a changé la méthode de comptage. Auparavant, on répartissait les gaz à effet de serre en fonction des masses. Maintenant, on sait préciser la part d’énergie nécessaire pour produire d’un côté des biocarburants, et de l’autre, des coproduits.
Deuxième point : l’impact environnemental des quantités de protoxyde d’azote (N2O). On prend mieux en compte ce puissant gaz à effet de serre, produit par l’utilisation d’engrais azotés. Il y a d’ailleurs des travaux en cours de l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), pour connaitre les facteurs d’émission des cultures françaises.
Le troisième critère de cette nouvelle méthodologie est l’affectation des sols. Par exemple, s’il y a destruction d’une forêt ou d’une prairie pour produire des biocarburants, le bilan environnemental devient négatif. Il faudrait dans certains cas plus de 200 ans pour que le bilan redevienne positif. Détruire une prairie est donc un non-sens environnemental. En Europe, avec les règles de la Politique agricole commune (PAC), la production de biocarburants se fait uniquement sur des terres cultivées. Mais si la France dépasse un seuil d’incorporation de biocarburants, le recours à des importations risque de profondément dégrader l’intérêt environnemental. Car en-dehors de l’Europe, il n’y a pas de système de contrôle pour savoir si une prairie ou une forêt a été détruite pour produire des biocarburants.
Maintenant, comment allez-vous appliquer cette nouvelle méthode ?
Chantal Jouanno - L’ADEME lance aujourd’hui une étude des biocarburants filière par filière (colza, maïs, blé...). Les résultats seront connus fin 2008. Mais on sait déjà que l’impact environnemental des biocarburants reste globalement positif avec cette nouvelle méthode.
Que pensez-vous du dernier rapport de l’OXFAM, qui affirme que les biocarburants sont responsables de 30% de l’augmentation des denrées alimentaires ?
C’est vrai qu’il y a un réel problème au niveau mondial sur le maïs. En 2007, 23% de la production américaine de maïs était destinée aux biocarburants. Mais il ne faut pas tout imputer aux biocarburants. Le problème résulte de la forte augmentation de la demande liée à la croissance mondiale de la population, mais aussi de la disparition des surfaces arables, qui est catastrophique. Elles baissent de 100 000 à 140 000 km2 par an. C’est un problème lié à l’urbanisation, à l’appauvrissement des sols et au changement climatique. C’est donc là, qu’il y a un véritable problème.
Quels sont les objectifs français en matière de biocarburants ?
Chantal Jouanno - Le précédent gouvernement avait fixé un objectif de 10% de biocarburants en 2015. Pour tenir cet objectif, cela suppose de produire des biocarburants de seconde génération que nous ne maîtrisons pas encore. L’objectif actuel, fixé par Jean-Louis BORLOO, est de 7% de biocarburants en 2010. Mais cette source d’énergie n’est qu’une micro-solution parmi beaucoup d’autres. S’il fallait mettre 100% d’agrocarburants dans les véhicules français, il faudrait cultiver quatre fois la surface de la France.
(Crédit photo : Daniel Schwen)